Une nouvelle année

Jade n'avait toujours pas revêtu sa robe habituelle de sorcier, comme le faisait habituellement les élèves de Poudlard lorsqu'ils allaient à la veille de la rentrée des classes, chercher leurs fournitures scolaires sur le chemin de traverse. Son père, un homme à la mâchoire carrée, au nez aquilin et à la bouche aiguisée lui jeta un regard désabusé. Elle répondit d'un sourire mi amusé mi méprisant et ajusta la cape de velours qu'elle portait sur les épaules. Sa robe sombre bruissait sur les pavés alors qu'elle faisait résonner ses talons sur les murs de la petite cour derrière le Chaudron Baveur.

Il était hors de question qu'elle s'approche des poubelles et par habitude, Monsieur Selvin fit un pas en avant et toucha les briques. Il jeta un dernier coup d’œil au décolleté fourni de dentelle de sa fille avant de lever les deux yeux au ciel dans un soupir las. Elle ressemblait trop à sa mère. D'ailleurs, ce n'était pas un mal que cette dernière ne soit pas venue... Il avait eut du mal à les supporter toutes les deux pendant tous l'été, d'autant que Jade avait atteint sa majorité en août et qu'elle pouvait maintenant librement exercer sa magie... ce qui s'était traduit, les trois semaines dernières par des transplanages intempestifs cintrés de brume noire, sous prétexte que Mademoiselle jugeait sa belle énergie trop précieuse pour être gaspillée à marcher dans le manoir. De plus, sa mère lui avait cédé tous ses caprices pour fêter sa nouvelle liberté et ils avaient dû aménager la pièce qui lui servait de garde robe pour la rendre extensible.

N'attendant que sa propre personne, Jade passa devant son père et son frère avec un mouvement élégant de la main. C'était plus ou moins un remerciement de lui avoir ouvert le passage mais cela ressemblait plus au geste que l'on adressait habituellement aux elfes de maison pour les congédier. La rentrée... Jade ne savait pas vraiment si elle avait envie ou pas de s'y jeter. En fait, elle avait envie de retrouver ses amies, en particulier Melyssandra. Elle avait aussi de nouveau envie de se perdre dans la réserve, d'autant que cette année elle avait pris les cours de Défense contre les forces du mal comme option dominante et que les cours seraient extrêmement poussés. Elle savait déjà par où elle allait commencer ses recherches personnelles car la bibliothèque familiale refermait tous les livres qu'avaient utilisé ses ancêtres pour étudier à Beauxbatons comme à Poudlard et elle savait ce que ne contiendrait pas le programme.

Ils leur fallait se rendre à la banque des sorciers à présent, sa mère lui avait donné de l'argent pour se racheter un hiboux, son vieux petit-duc étant mort de vieillesse au cours de l'été, mais cela ne couvrirait les frais scolaires de personne, surtout que payer les fournitures scolaires était une tâche destinée à Père.

Amadis observait sa soeur du coin de l'oeil. La manière qu'elle avait de marcher, de regarder le monde et d'évoluer parmi les gens. Toujours en retrait, il était passé maître dans l'art de cerner son entourage et de prévoir leurs réactions. Selon lui, Jade, du haut de son trône, était la reine des aveugles.
La regardant passer devant son père et lui, il eut un sourire narquois. Classique.
Il échangea avec son père un regard entendu. La famille Selvin était dominé par le caractère et la magie noire des femmes de son sein. Les hommes, fuyant leur statut d’accessoires de ces dames, n'avaient qu'à se serrer les coudes.

- Après vous, père, dit Amadis.
- Merci mon fils.

Ainsi allait la vie d'Amadis Selvin. Apprendre à voir le jeu d'échec d'une hauteur raisonnable et tirer les ficelles invisibles des relations humaines. Il avait hâte de réaliser ces courses scolaires et de retrouver ses camarades de Serpentard. Cette année s'annonçait palpitante. Il y veillerait.

N'écoutant que sa petite personne, Jade fendait déjà la foule et entra dans l'animalerie. Amadis la suivit pour l'aider à choisir son prochain facteur.

Dès qu'elle mit un pied dans l'animalerie, la jeune fille ne sut plus où regarder. Elle laissa un chat noir et filiforme se frotter contre sa chambre avec un miaulement savamment attendrissant. Un sourire lui échappa alors qu'elle tirait doucement sur sa robe pour en déloger le félin qui s'était pris d'envie de se rouler à ses pieds. Mais les chats, loin de lui être antipathiques, n'apportaient pas le courrier et de toute façon, elle n'était pas venue pour ça. Elle laissa le minet se jeter aux pieds de son frère pour lui faire la même comédie et avança plus loin dans la boutique, gardant un pan de sa robe à la main pour qu'elle ne ramasse pas tout ce que l'endroit recelait de poils et de poussière.

Elle adressa un sourire à la propriétaire, qui s'occupait de quelqu'un vers le fond, là où jouaient des rats multicolores, la nouvelle tendance d'animaux chez les premières années à Poudlard. Entreprenant de monter les marches qui menaient à la volière, Jade hésitait encore sur la race qu'elle choisirait. Le petit-duc qu'elle avait jusqu'alors lui avait très bien convenu jusqu'à ce que celui ci trépasse... mais elle n'avait pas envie de se retrouver avec un "Folichon" bis. Oui.... quand on reçoit un hiboux pour ses 7 ans... on ne pense pas forcément que le nom de son animal vous suivra toute la vie de la pauvre bête.

Les chevêchettes étaient trop fragiles, les grand-ducs trop encombrants, les hulottes ne lui plaisaient pas, elle leur trouvait un air idiot. Les harfang étaient trop blanches pour passer inaperçu... Elles étaient beaucoup trop reconnaissables. Elle leva la tête et contempla les dizaines de volatiles qui ornaient les murs auxquels étaient fixés une centaine de perchoirs. Elle jeta un regard à son frère en haussant les épaules. Et tendit le bras en regardant une chouette tachetée qui vient se poser doucement sur son bras. Elle caressa ses plumes et se vit gratifiée d'un claquement de bec désapprobateur. Elle la renvoya. Elle recommença son manège une ou deux fois et soupira de découragement. Folichon allait lui manquer. Le petit volatile avait toujours fait preuve de patience, bien qu'il n'eut jamais apprécié qu'une petite fille ne lui tire les plumes par maladresse. Il n'avait jamais été câlin mais il avait été tellement attaché à elle qu'il avait toujours plié volontiers aux caprices affectifs de sa maîtresse.

- " ça ne sert à rien, je prendrai le temps pour en choisir un quand j'aurai fait le deuil de Folichon. En attendant je me servirai des Hiboux de l'école."

Elle se retourna pour sortir... tant pis elle se débrouillerai sans hibou cette année là. Mais lorsqu'elle posa le pied sur la première marche, un poids tira sa cape en arrière. Une silencieuse chouette effraie, qui avait remué sur son perchoir depuis que Jade était entrée dans la pièce, venait de rater son attérissage sur son épaule et s'était rattrapée à sa capuche en urgence pour ne pas s'écraser sur son dos. Ses grands yeux lunaires fixés sur la brune, elle avait attendu qu'elle tende le bras vers elle, puis frustrée, s'était précipitée vers elle avant qu'elle sorte.
Jade se retourna, surprise, tandis que l'oiseau escaladait sa cape pour remonter sur son épaule.

- "Ah, oui." dit la vendeuse avec un sourire entendu, croyant que Jade avait choisit d'avoir l'oiseau sur l'épaule à son apparition en bas des escaliers. "Excellent choix. Cependant, je vous demanderai de bien vouloir y faire très attention, elle est très jeune, en fait elle vient tout juste d'arriver à l'animalerie... Elle va avoir besoin de temps pour apprendre son métier."

Un hullulement joyeux accompagné d'un bruissement de plumes ponctuèrent cette déclaration. Jade leva le doigt pour la caresser, la chouette se tordit le cou pour se faire gratter sous la mâchoire. Après tout... elle n'avait rien contre les chouettes effraies.

Jade avait finalement craqué pour une nouvelle boule de plumes. Amadis assistait aux premières minutes, aux premiers pas d'une relation qui allait durer un bon nombre d'années. Sa soeur et cette chouette commençaient à tisser un lien. Et selon toute vraisemblance, ce lien se déchirera un jour triste par la perte de l'oiseau, âgé, baissant le rideau, et tout finira par la vue de Jade, effondrée dans sa chambre, à pleurer son ami aérien. Malgré la beauté des premiers instants, tout finit toujours mal.

* peut-être est-ce pour ça que je fais en sorte que rien ne commence *

Amadis n'avait jamais sauté le pas d'adopter un familier. Il feignait de n'y voir aucune utilité.
Pour l'heure, Jade aurait à faire la connaissance et à apprivoiser le volatile. Tâche qu'on pouvait imaginer très facile étant donné la transparence et la sincérité outrancière dont faisait preuve la jeune chouette maladroite.

- Pour sûr, il n'est "pas Folichon", dit Amadis d'une voix ironique. Soeurette, tu as toujours autant de goût pour choisir tes bestioles.

M. Selvin père était quelques pas plus loin à admirer les rats, les oreilles bien loin des discussions de ses chérubins.